Les pôles de croissance agricole, la panacée aux maux…

Les pôles de croissance agricole, la panacée aux maux de l’agriculture africaine?

Un article par José Herbert Ahodode

La Conférence internationale des Sols (Global Soil Week) s’est tenue à Nairobi (Kenya) du 26 au 30 mai 2019. Des échanges constructifs au cours de cette rencontre ont permis à divers acteurs de réfléchir sur les maux de l’agriculture africaine dans un contexte de changement climatique. Dans cet article, en ma qualité de YouthInSoil, je vous invite à une réflexion que je fais mienne et je vous emmène au cœur du partenariat public privé en Afrique en faisant un focus sur les pôles de croissance agricole. Bonne lecture et surtout, belles réflexions car c’est l’heure de l’ACTION !

La promotion du partenariat public-privé (PPP) comme stratégie de financement du secteur agricole  en Afrique s’amplifie. Depuis quelques années, les pôles de croissance agricole se multiplient et occupent une place grandissante sans que leur impact positif sur la sécurité alimentaire, nutritionnelle et la lutte contre la pauvreté ait été démontré. Beaucoup de questions subsistent encore et on se demande entre autres si les agropoles sont la meilleure option pour le développement agricole ? Si c’était le cas, la pratique du PPP dans la dynamique des agropoles est-elle la meilleure ? Quelles sont les réalités autour des agropoles ? Favorisent-ils réellement le développement de filières compétitives et  inclusives des exploitations familiales ?

Les pôles de croissance agricoles (agropoles) sont développés sur des zones de terres agricoles dotées d’un fort potentiel, souvent irriguées ou potentiellement irrigables, et sur lesquelles les pouvoirs publics souhaitent favoriser la concentration des investissements publics et privés. Ils sont dotés d’infrastructures de soutien à la production, à la transformation et à la commercialisation des matières premières agricoles, et sont connectés aux marchés régionaux et internationaux pour l’achat d’intrants ou la vente des produits. Selon la BAD, 2016 : « Ces politiques pourraient conduire à une hausse des investissements du secteur privé orienté vers des domaines d’excellence et de haute productivité ». La promotion des pôles de croissance agricoles s’inscrit en effet dans une dynamique d’incitation de l’investissement privé à grande échelle dans l’agriculture, mise en avant par les Etats, les organisations internationales, les agences de développement, et les firmes agroalimentaires multinationales. Cette approche du développement agricole considère la lutte contre la faim essentiellement comme un défi d’augmentation de la production et des rendements, sans prise en compte des dimensions de revenus des plus pauvres, de destination de la production agricole, etc. Ainsi, les problèmes du monde agricole demeurent sans solution efficace. Il est donc opportun de s’interroger sur les failles du système car le fonctionnement des agropoles reste entaché de beaucoup de déviances…

La question foncière liée à l’accaparement des Terres par les grandes firmes (sans politiques d’indemnisation crédibles) avec la complicité de l’Etat est un obstacle certain. L’Etat, étant détenteur des droits de propriété, décide de leur déploiement ou transfert vers les multinationales sous ordre de PPP. Ce positionnement de l’Etat induit certains agents à marchander la Terre pour des bradages aux firmes par suite de commissions mirobolantes ; la corruption y trouvant un terreau favorable. Cela défavorise les agriculteurs locaux qui n’ont plus accès au foncier car dépossédés de leurs Terres. En plus, la réalisation de nouveaux aménagements et infrastructures implique des redistributions du foncier. Les procédures (simplistes et réductrices) d’expropriation des terres, de compensation et de réinstallation des populations affectées sont peu négociées et s’accompagnent de nombreuses contestations. Dans le même temps, la défaillance du système judiciaire pénalise les paysans car ils sont incapables de faire valoir leur droit. La raison du plus fort étant toujours la meilleure, force est souvent restée à la loi du plus fort, c’est-à-dire l’Etat ou les privés disposant de moyens nécessaires pour « s’acheter » la justice…

 

Par ailleurs, il faut remarquer que les exploitations agricoles sont faiblement intégrées avec aucune place pour l’innovation paysanne avec cette approche très « top down » : contrainte des producteurs à appliquer un paquet technologique sans tenir compte des spécificités locales. Il n’existe donc pas des mesures d’accompagnements pour la prise en compte des exploitations familiales « greniers des ménages » dans l’ordre de mission des agropoles. On déduit que le modèle promu manque d’être inclusif pour les producteurs. Derrière un affichage éthique (la lutte contre la faim), les firmes promeuvent leur vision en faisant miroiter des investissements privés et en conduisant les Etats à tourner dos à l’agriculture familiale. Aussi, pour les termes du contrat de PPP, l’acerbe critique est liée à la crise de confiance entre acteurs et aux relations de copinage entre Etat et Entreprises dans l’implémentation des agropoles ; toutes choses ne favorisant guère leur essor !

L’effet de concurrence sur les marchés est une problématique soulevée par la défiscalisation à l’avantage des grands opérateurs privés. Accorder des incitations fiscales, douanières n’est pas mauvais en soi si les investisseurs privés s’engagent et respectent leur engagement de créer de la richesse et des emplois. Ce qui n’est pas le cas et, ces opérateurs sont plus compétitifs que les agricultures familiales, bénéficiant moins de soutiens. Avec ces revers, les agropoles ne répondent pas aux enjeux primordiaux de sécurité alimentaire et nutritionnelle ; encore que les filières promues soient destinées à des marchés extérieurs pour la plupart.

En scrutant les questions de commercialisation et du marché, il serait opportun de mettre en œuvre des stratégies idoines pour bénéficier des économies d’échelles entres acteurs. C’est l’avantage de l’approche « chaînes de valeurs » préconisant de tisser des liens entre secteurs et acteurs pour accroitre la productivité et la compétitivité des agents économiques. Pour répondre aux défis du développement agricole, il urge de changer de cap dans la pratique du PPP sous l’option des agropoles. Il faudrait définir le cadre légal en établissant les normes de manière inclusive avec toutes les parties. Il faut donc que le partenariat soit gagnant-gagnant pour les divers acteurs et puisse résoudre les défis de coordination d’une approche multi-composante et pluri-acteurs. Investir davantage dans les infrastructures – transports, électricité, eau et TIC – afin d’améliorer l’accès aux marchés, aux intrants, aux technologies et aux ressources financières et investir dans les chaînes de valeurs pour rapprocher les agriculteurs des marchés seraient aussi des alternatives à envisager.

En définitive, le partenariat public-privé pour le développement agricole met les agropoles en pole position en dépit des pratiques non inclusives pour toutes les parties prenantes avec des intérêts économiques divergents. Des facilités réglementaires, fiscales existent pour encourager les investissements mais au détriment des exploitations familiales agricoles. Il est donc de la responsabilité des Etats et divers acteurs de corriger les disparités pour l’essor des agropoles. Il y va de la survie de l’agriculture africaine et c’est un défi primordial dans un contexte où nous sommes appelés à nourrir plus de monde avec des ressources sans cesse amenuisantes.